COMPTE RENDU DE L’AUDIENCE AVEC MATTHIEU LAHAYE, CONSEILLER PEDAGOGIQUE
DU MINISTRE
Le vendredi 13
décembre, une délégation de la Conférence représentant les associations
disciplinaires a été reçue par le conseiller pédagogique du Ministre. Elle se composait
de Marie-Thérèse Lehoucq (UdPPC), missionnée pour les disciplines
scientifiques (maths, physique-chimie, SVT), Jean-Luc Breton (APLV), Solène
Pichardie (SES), Marie Pantaloni (UPBM pour les séries technologiques),
Christine Guimonnet (APHG et secrétaire de la Conférence).
Cette rencontre avait été
sollicitée par la Conférence après une première réunion de travail
inter-associations fin septembre pour faire un premier bilan de cette rentrée
dans le cadre de la réforme. Les discussions internes ont débouché sur la
publication d’un communiqué. [1]
Au bout de
trois mois de cours, un certain nombre de problèmes émergent, des questions se
posent, certaines réponses sont floues. Au cours de la discussion sont
abordées les problématiques suivantes : les E3C et la BNS ; la
numérisation des copies ; la rémunération de ces corrections ; la
mise en œuvre globale de la réforme et les programmes. La réunion a permis de
mettre en exergue les problèmes concrets les plus fréquents, sans pour autant
donner un catalogue par discipline, l’objectif étant d’avoir des réponses
claires pour les collègues toutes disciplines confondues, et de faire remonter
les inquiétudes du terrain, dans un contexte tendu. D’autres réunions
permettront le suivi attentif de la réforme programmée du CAPES et de l’entrée
dans le métier, qui préoccupe légitimement nos associations. La réforme du
concours et la formation feront l’objet de la plus grande vigilance.
La réforme présentée par la
communication ministérielle comme
simplifiant le lycée et le bac
semble pour le moment engluée dans divers dysfonctionnements (« usine à
gaz »), qui accentuent le stress, la fatigue des élèves comme des
collègues. En l’état actuel, elle donne aux élèves et aux parents une image
d’impréparation, d’improvisation,
dégrade les conditions de travail et d’apprentissage et ne remplit
pas ses objectifs. De nombreux
collègues, faute d’informations essentielles arrivées en temps et en heure, ont
été dans l’incapacité de répondre aux questions des parents lors des réunions
de début d’année (date des E3C, grand oral, nature des épreuves de terminale,
quelles spécialités choisir, abandonner …).
M. Lahaye
explique qu’il faut revenir au sens de ce contrôle continu, qui est une chance
formidable pour valoriser le travail régulier des élèves, avec un cadre
d’examen, certes, mais plus souple. Les élèves auront un retour de correction
de leurs copies d’examen, ce qui n’était pas possible avant avec les copies du
bac. La réforme est conçue pour mettre
fin à ce scandale : 60% des étudiants n’arrivent pas à avoir une licence
en trois ans. En janvier, toutes les épreuves de terminale seront connues. Les
textes sont quasiment prêts. M. Lahaye est partisan de hâter le mouvement pour
que les professeurs puissent partir en vacances avec tous les documents
nécessaires à la préparation de la rentrée.
Les E3C : BNS,
choix des sujets, barème et corrigé, correction, rémunération, harmonisation …
De nombreux
collègues sont inquiets en raison des retards successifs et du flou entourant
la mise en place de ces épreuves. Nous
soulignons que la numérisation n’était pas prévue à l’origine et qu’elle semble
compliquer inutilement l’organisation (écrans ; établissements mal équipés
… nombre de postes informatiques insuffisant ; problèmes de réseau,
d’internet…). La BNS montre, selon les disciplines, un nombre très variable de
sujets, soit suffisant, soit trop faible, soit peu adaptés aux progressions
(maths). En langue, les deux épreuves devraient être interverties pour des
questions de cohérence programmatique… Les collègues, devant cette charge de
travail supplémentaire, se posent des questions sur la rémunération, jugée très
inférieure à celle des corrections du baccalauréat.
M. Lahaye
rappelle qu’il reste un cadre national avec une banque nationale de sujets, une
anonymisation des copies et une harmonisation. Il n’y aura pas autant de bacs
que de lycées. C’est une évaluation, mais dans le cadre d’un examen, d’une
autre nature que celle qui a lieu dans le cadre du cours ; plus formelle
mais plus souple que la seule épreuve terminale. Un cadre souple mais sous
contrôle. La BNS est désormais ouverte aux professeurs accrédités par le CDE, elle
se remplit ; l’outil est perfectible et tout fonctionnera bien d’ici le 20
janvier.
Les professeurs choisissent les
sujets et le CDE signe. Tout professeur corrige dans son établissement. Les
copies sont anonymes (et la numérisation est ici un avantage). Si des CDE
veulent effectuer des échanges dans le bassin, il est souhaitable que cela se
fasse en concertation avec les équipes. Les sujets qui sont très choisis
sortiront de la banque ; comme ceux qui ne seront que peu ou jamais
choisis. Il n’y a pas de risque de bachotage avec des centaines de sujets. Il y
aura harmonisation après. Sur tous les sujets choisis, il y aura une analyse
des effets de bord, des actions ciblées pour voir les écarts, une péréquation
par établissement, dans l’établissement. Il n’y aura pas de corrigé fourni dans
la BNS. On fait confiance aux professeurs pour établir une correction en
fonction des attentes. En HG, 10 points par matière. Dans certaines disciplines
il peut y avoir un barème plus fin. Il n’est pas possible de scinder les sujets
d’histoire et de géographie de la série générale car cela empêcherait
l’harmonisation prévue sur des sujets globaux.
Le chantier de la numérisation
n’est pas encore terminé, mais tout sera prêt ; les différents services sont
confiants, tous les problèmes seront réglés. Le logiciel est SANTORIN et il
fonctionne. Les élèves auront accès à leurs copies en ligne. Chaque correcteur
sera payé 50 euros pour le lot de copies. C’est une prime de participation aux
E3C.
Toutes les remarques sont transmises au Comité de suivi de la réforme
qui a débuté ses travaux.
Les programmes et
la mise en œuvre de la réforme
Les collègues
de LV voulaient des programmes ouverts sur divers domaines mais se retrouvent
avec des programmes très littéraires, trop compliqués. La spécialité LLCER est choisie par des élèves qui ne sont pas
vraiment littéraires.
Les collègues de lettres ont des
remarques relatives au nombre trop important de textes.
En HLP, ceux de philosophie ne
veulent pas être contraints de travailler en interdisciplinarité. M. Lahaye
répond qu’un mur de Berlin a été érigé entre les deux disciplines.
En Maths, les collègues ont du mal à enseigner la
spécialité à tous, les élèves venant de familles très différentes. S’il est
légitime d’avoir des programmes ambitieux, un programme si difficile pose des
problèmes : découragement des élèves, question de la poursuite de la
spécialité maths ou même de son choix alors qu’elle n’est de toute évidence pas
conçue pour tous les élèves. Ceux qui ont un profil ex-ES sont d’ores et déjà
en difficulté et abandonneront. Ceux qui sont en seconde ne la prendront pas.
Il faudrait prévoir un niveau moins exigeant mais utile pour d’autres
matières. L’APMEP souhaite la création d’une seconde spécialité qui rencontrerait son public. Les collègues rencontrent
également des difficultés avec l’enseignement scientifique. Le programme est
ambitieux avec des classes à 36, non dédoublées et des élèves qui n’ont pas
pris de spécialités scientifiques.
L’APHG souligne que les
injonctions contradictoires du ministère, le calendrier annoncé et non
respecté, les discours variables d’une académie à l’autre, le manque de clarté
de certains textes, la difficulté à les trouver… ne facilitent pas la tâche des
collègues, mais génèrent au contraire du stress. Par exemple, pourquoi ne pas
indiquer très clairement dès la rentrée si en HG, les élèves inscrits en SIB
passaient ou pas les E3C ? L’ouverture sans cesse retardée de la banque a
mis sous pression des collègues très consciencieux et soucieux de préparer
leurs élèves le mieux possible.
Comment différencier avec des
effectifs pléthoriques, des classes très hétérogènes, des élèves qui arrivent
du collège sans maîtriser les bases ? Nous sommes sollicités par des
parents d’élèves visiblement « perdus » et ne sachant comment aider
leur enfant dans ses choix, ajoutant que la réforme a été présentée avec
l’argument du choix des spécialités, pour étudier ce qui intéresse, ce qui
motive…mais que si les attendus de ParcourSup sont différents, que les deux
parties du tube secondaire/supérieur ne s’emboîtent pas, les parents se
sentiront floués et le feront savoir…
Les collègues devant pleinement saisir leur liberté pédagogique mise en avant lors des discussions avec le CSP, l’APHG ne demande pas de
réécriture des programmes mais songe à d’éventuels aménagements et/ou simplifications,
en particulier pour les élèves des séries technologiques, qui ont un horaire
plus faible et qui ont besoin de davantage de temps pour entrer dans certains
apprentissages.
L’association consultant
régulièrement les collègues, un bilan sera effectué par l’association à la fin
de l’année. L’EMC, qui a un programme
national, doit être affectée en tant que telle dans la DHG de manière à ce
que le programme puisse être effectué, et les élèves bénéficier d’une
évaluation valorisante, surtout s’il y a un projet de classe (ce qui peut
parfois s’avérer complexe à mettre en œuvre avec 35 élèves…).
Pour les SES, un programme trop lourd se heurte à la question des moyens avec une perte massive des
dédoublements. Il sera nécessaire de faire un bilan de ce nouveau programme et
le cas échéant de prévoir des aménagements. L’enquête
menée par l’APSES montre que le nombre d’élèves par groupes a augmenté et que
les dédoublements sont beaucoup moins nombreux. Les SES ne sont pas les seules
touchées par cette dégradation.
Nous
ajoutons que l’abandon d’une spécialité en terminale n’est pas forcément
pertinent et que cela met en péril des disciplines déjà rares et qui sont
pourtant suivies dans l’enseignement supérieur, et que le choix ne doit pas
réduire les opportunités de formation des élèves.
M. Lahaye met
en avant la marge définie nationalement et dont chaque classe bénéficie, à
raison de 12,5 h par classe en seconde, 8,5 par classe en première et 8,5 par
classe en terminale.
Nous évoquons le problème du
partage de cette marge d’un établissement à l’autre, car elle doit financer les
groupes, les options, l’AP… Certains collègues se retrouvent devant le fait accompli
sans avoir pu discuter. Pour l’APSES, la marge n’est clairement pas suffisante,
le manque de moyens accentue les inégalités… L’APLV souligne que le problème
des effectifs est réel avec une augmentation du nombre d’élèves par classe, le
renoncement à bon nombre de projets spécifiques : comment former de bons
linguistes avec 35 élèves par classe ? En série technologique, se pose
également le problème de la co-intervention (ETLV) qui supprime une heure au
professeur de LV (mais qui doit faire le même programme), accroît sa charge de
travail a fortiori avec un collègue qui ne pratique pas toujours et quelquefois
pas du tout la langue concernée.
M. Lahaye rétorque que les
inégalités existent depuis le plus jeune âge, que nous avons le lycée le plus
cher d’Europe avec des dépenses qui ont lieu depuis des années au détriment de
l’école primaire, parent pauvre de l’éducation. Que c’est un choix assumé
d’affecter des moyens, en dédoublant les CP… Il ajoute qu’il y a actuellement
une croissance démographique qui atteint
le collège et le lycée, mais la décrue à l’œuvre en amont, entraînera la baisse
mécanique du nombre d’élèves par classe dans le secondaire plus tard.
M. Pantaloni (UPBM) évoque les inquiétudes
des collègues concernant la voie technologique. Les séries STL et STI2D ont
vu leurs effectifs fortement diminuer avec la mise en place de la réforme.
Nous pensons que des élèves de « profil technologique »
plutôt scientifique qui n’auraient pas été acceptés en première S avant la réforme
et se seraient orientés en voie technologique, peuvent maintenant s’orienter en
voie générale en « évitant » certaines spécialités (avec le risque de
ne pas réussir…).
Par ailleurs, la communication sur
la voie technologique a été insuffisante par rapport à celle sur la voie
générale. Horizon 2021 par exemple, ne prend pour l’instant en compte que la
voie générale. M. Lahaye répond que dans le nouveau site, la voie technologique
sera visible.
Par ailleurs, même si les
effectifs en ST2S sont restés stables, nous appelons à la vigilance : le
recrutement en IFSI se fait désormais via ParcourSup et les ST2S ont été plus
ou moins bien acceptés en IFSI selon les académies. Nous craignons que des
collègues/chefs d’établissement en viennent à déconseiller la ST2S à des jeunes
de « profil technologique » souhaitant s’engager dans une carrière
d’infirmier (ière).
Il nous apparaît nécessaire de revaloriser la voie technologique, qui
touche des secteurs d’importance économique majeure (biotechnologies,
développement durable, santé et social en particulier) :
- en mettant en
place une importante campagne de communication au niveau national (spots, flyers
; information sur les poursuites d’étude et les carrières possibles, traitement
équitable par rapport à la voie générale…)
- en assurant le
recrutement des élèves de voie technologique vers les IUT et les BTS
Le problème des bacs pro imposés
dans certains BTS avec lesquels il n’y a pas adéquation des formations est
soulevé ; cela génère souffrance des élèves de bac pro qui se retrouvent
souvent en échec et abandonnent et des élèves ayant un bac techno
« moyen » qui n’ont pas obtenu de place en BTS (puisque bloquées pour
des bacs pro « non adéquats ») et se retrouvent à l’université où ils
réussissent peu. Une liste nationale des correspondances bac pro/BTS possible
pourrait être proposée.
M. Lahaye
évoque le Comité de suivi de la réforme qui commence ses consultations, aborde
l’examen de la mise en œuvre, a été saisi de demandes présentées par les
syndicats. Le ministre s’exprimera dans le courant du mois de janvier. Il
ajoute que certaines questions exposées ici ont été abordées au Comité de
suivi. Il y a des parcours alternatifs possibles avec les maths : spécialité maths / maths complémentaires à mixer avec des profils intéressés par les
LV / maths expertes[2]. Les difficultés liées aux mathématiques ne
sont pas une découverte : on avait auparavant des lycéens obtenant un bac
S avec des notes satisfaisantes en PC et SVT mais mauvaises ou très mauvaises
en maths, et ceux, qui, avec ce bac S, ne poursuivaient pas d'études
scientifiques dans le supérieur. Ce programme est celui de ES mais avec
davantage de géométrie, mais mené de manière différente, avec plus de
réflexion, de démonstration. Il a la conviction qu’on est là dans un programme
de vérité en mathématiques, afin d’avoir les bases nécessaires pour
correspondre au niveau attendu. Il faut réfléchir à la différenciation. La
différenciation suppose aussi un financement des dédoublements et une réflexion
sur la composition des groupes.
La réunion se
termine après des échanges concernant le CAPES. Une nouvelle réunion aura lieu
début 2020.
Pour le Secrétariat de la
Conférence,
Christine Guimonnet
NB
AP (accompagnement personnalisé) ; BNS (banque nationale des sujets) ; CDE (chef d'établissement) ; CSP (Conseil Supérieur des Programmes) ; DHG (dotation horaire globale) ; EMC (Enseignement moral et civique) ; HLP (Humanités littérature et philosophie) ;
IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) ; LV (langues vivantes) ; SES (Sciences économiques et sociales) ; SIB (section internationale britannique) ; SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) ; ST2S (Sciences et technologies de la santé et du social) ; STI2D (Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable), STL (Sciences et technologies de laboratoire)